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Sam Henle

D’une jungle bétonnée vers des espaces favorables à la biodiversité et aux pollinisateurs


Depuis toujours, l'évaluation foncière prend cette question pour point de départ : « Que peut nous rapporter cette terre? » Elle implique donc de considérer ce qui peut être gagné par une extraction des ressources qui s’y trouvent ou encore ce qui peut être construit sur l'espace qu’elle occupe. Cependant, l'approche dominante d'évaluation foncière sous-estime généralement, voire exclut carrément la valeur écologique critique de fonctions accomplies par l'environnement naturel, à savoir le soutien à la biodiversité, l'amélioration de la composition des sols, la prévention de l'érosion et des inondations, la protection des nappes phréatiques, ainsi que la pollinisation. Ces dernières forment un système qui maintient notre qualité de vie; le remplacer aurait un coût astronomique.


Une nouvelle récente illustre la situation suivante : une parcelle de terrain non aménagée près de l'aéroport Montréal-Trudeau a été tondue en juin 2022 dans le cadre d’« opérations normales d'entretien »[1], détruisant l'habitat de plus d'une centaine d'espèces de pollinisateurs importants, dont des oiseaux, des insectes et d'autres petits animaux. Parmi les plantes tondues se trouvait l'asclépiade.[1] Or, si l'asclépiade n'est pas considérée comme une espèce protégée au Canada, elle joue néanmoins un rôle vital dans le processus de reproduction des papillons monarques, une espèce protégée par le traité international sur les oiseaux migrateurs récemment identifiée comme menacée et mise sur la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature.[1],[2] En fin de compte, ils ont taillé le paradis et ils l’ont remplacé par…rien.


Au fond, pourquoi devrions-nous nous soucier de la perte de quelques asclépiades par-ici ou autres plantes sauvages par-là ? Il ne s'agit pas seulement de la destruction de quelques parcelles d'asclépiade, mais bien de l'effet cumulatif des activités humaines non durables sur près de 40 % des espèces de pollinisateurs.[3 En effet, les abeilles, les papillons, les mites, les colibris, les chauves-souris et autres pollinisateurs jouent un rôle crucial pour l'agriculture, l'environnement et, en fin de compte, le bien-être de l'être humain.


D’ailleurs, saviez-vous que le Canada est le premier exportateur mondial de canola et le deuxième exportateur mondial de bleuets ? Or, ces deux cultures dépendent fortement des pollinisateurs. On estime que le simple rôle de la pollinisation dans les revenus engendrés par ces deux cultures au Canada s’élève à une valeur de récolte supplémentaire de 2 milliards de dollars.[4] Dans les faits, 90 % des plantes en fleur dépendent des pollinisateurs et la majorité ces plantes est responsable d'une grande partie de l'approvisionnement alimentaire mondial.[3] Donc, si vous pensez que c’est une mauvaise chose que 40 % des espèces de pollinisateurs sont menacées d'extinction (selon les estimations de 2019 de la Fédération canadienne de la faune), c'est parce que c'est effectivement une mauvaise chose. [3]

La Fédération canadienne de la faune souligne trois causes principales du déclin des pollinisateurs : l'utilisation excessive de pesticides, le réchauffement climatique et la perte d'habitat.[3] Cette dernière est la plus importante des trois causes. Or, les cartes ci-dessous sont à cet égard particulièrement instructives.[5] Elles illustrent l’étalement urbain dans la région de Montréal, c’est-à-dire le développement des terres pour y construire des habitats et des lieux de travail. Plus une zone apparaît en rouge sur la carte, plus elle est bâtie. Les auteurs de l’étude d’où cette carte est tirée affirment qu’entre 1971 et 2011, l'étalement urbain s’y est multiplié par 25.[5][6] Or, une conséquence directe de cette extension est la destruction de l'habitat des pollinisateurs.



L'étalement urbain à Montréal de 1971 à 2011[5]



Comme le grand public est de plus en plus conscient de la nécessité de promouvoir et d'incorporer des espaces verts favorables à la biodiversité, un certain nombre d'initiatives ont vu le jour (voir le Tableau 1 ci-dessous). Ces initiatives internationales considèrent le bien-être écologique au même titre que le bien-être humain. Elles suggèrent ainsi des changements pouvant être mis en œuvre à Montréal afin de créer des espaces plus favorables aux pollinisateurs et d’atténuer les effets négatifs de l'étalement urbain. On y remarque que les bords de route, les champs et les toits sont souvent sous-utilisés et qu’ils constituent donc des options de premier ordre pour être convertis en habitat pour pollinisateurs.[7],[8],[9]


Ville

Initiatives/études en faveur des pollinisateurs

Points importants à retenir

Aix-la-Chapelle, Allemagne[8]

« Plan Bee » pour les villes; étude sur la façon dont les espaces urbains verts sont et peuvent être utilisés par les pollinisateurs

Même des petites zones de végétation sauvage peuvent constituer un habitat favorable aux pollinisateurs. Les parcs de loisirs et les pelouses sont en ce sens des espaces au potentiel inexploité.

Dundee, Écosse[7]

Réaménagement des bords de route, d’anciennes décharges et d'autres espaces sous-utilisés en plates-bandes de fleurs sauvages

Les chercheurs constatent une forte augmentation de l'activité pollinisatrice de plusieurs espèces d'abeilles, de papillons et de syrphes (libellules) et estiment à plus de 8 000 le nombre de syrphes observés en une seule journée. Les pollinisateurs ont été actifs jusqu'en début novembre, bien au-delà de leur période d'activité habituelle.

Édimbourg, Écosse[7]

Étude hebdomadaire des toits verts et des jardins sur les toits pour déterminer s'ils constituent un habitat viable pour les pollinisateurs

Il n'y a pas de différence entre un habitat sur un toit et un habitat au niveau du sol, tant qu'il y a une bonne variété de plantes. L'étude a permis d'identifier 31 espèces de pollinisateurs (et une famille de canards). Les toits verts permettent également de réduire l'effet d'îlot de chaleur.

Villes à travers le Canada[9]

Programme « Bee City Canada »

Ce programme fournit des conseils et des ressources aux villes, aux particuliers et aux organisations pour qu'ils soient plus soucieux des pollinisateurs. 64 "villes des abeilles" ont été certifiées comme étant favorables aux pollinisateurs, tout comme 34 entreprises, 61 écoles et 17 campus. Une carte interactive indique les sites répertoriés.

Tableau 1. Exemples d'initiatives visant à promouvoir des espaces verts biodiversifiés



Mais qu'a fait Montréal pour protéger les pollinisateurs ? Que pouvons-nous faire ? Bien qu'il y ait quelques initiatives à Montréal comme Polliflora (anciennement Miel Montréal) ou l’Initiative de Concordia pour les pollinisateurs, dont l’objectif premier est d'aider les pollinisateurs, d’autres n'ont pas cet objectif, mais elles leur sont néanmoins bénéfiques.

  • L'initiative des Ruelles vertes aide la population montréalaise à aménager des espaces verts publics dans la ville. Le but de ces espaces est de créer un espace convivial et de réduire l'effet d'îlot de chaleur en créant des zones vertes dans des espaces urbains sous-utilisés comme les ruelles. L'objectif premier de l'initiative n’est pas de faire en sorte que ces espaces verts conviviaux servent d'habitat aux pollinisateurs, mais une ruelle verte peut néanmoins devenir un habitat de choix pour eux.10]

  • Les arrondissements de la ville de Montréal distribuent également des plantes et du compost gratuitement aux résidents afin qu’ils aménagent leurs jardins et entretiennent leurs propres espaces verts. Bien que la plupart des arrondissements n'offrent pas systématiquement de fleurs sauvages et de plantes indigènes qui conviennent le mieux aux pollinisateurs locaux, ils pourraient très facilement le faire si les résidents exigeaient ce changement.[11]


Il existe aussi un certain nombre de mesures que chaque personne peut prendre afin d’aider les pollinisateurs. Premièrement, si vous voyez des pissenlits ou d'autres « mauvaises herbes » à fleurs apparaître sur votre pelouse au printemps, ne les coupez pas ! Ces plantes constituent une source de nourriture importante pour les pollinisateurs et peuvent aider à établir des colonies saines en début de saison. Pensez également aux pollinisateurs lorsque vous planifiez vos plates-bandes : vous pouvez par exemple dédier une jardinière ou un petit coin de votre jardin aux pollinisateurs. Chaque petit geste compte ! Si vous voulez contribuer au-delà de votre propre jardin, vous pouvez participer aux activités PolliACTion de Net Impact Montréal ou encore vous joindre à d'autres initiatives comme BeeCity Canada ou Mission Monarque.



Sources :

  1. https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2022-07-05/ce-saccage-aurait-du-etre-evite.php

  2. https://www.iucnredlist.org/species/159971/806727

  3. https://www.youtube.com/watch?v=S9bea1tUaps&ab_channel=CTVNews

  4. https://publications.gc.ca/collections/collection_2018/aac-aafc/A71-43-2016-fra.pdf

  5. http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/COMMISSIONS_PERM_V2_FR/MEDIA/DOCUMENTS/MEM_NAZARNIA-NAGHMEH_PRES_20141118.PDF

  6. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1470160X15005063?fr=RR-2&ref=pdf_download&rr=7340e0f72939ca6f

  7. https://www.nature.scot/doc/pollinator-strategy-scotland-2017-2027

  8. https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0235492#pone-0235492-g001

  9. https://beecitycanada.org/

  10. https://montreal.ca/en/topics/green-alleyways?arrondissement=CDNNDG

  11. https://montreal.ca/en/topics/plant-and-compost-distribution

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